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http://fr.wikipedia.org/wiki/Harold_Gilman |
Décembre, une vague de froid déferle sur le pays. Le gel fait éclater les tuyaux qui se transforment en surprenantes chandelles le long des murs.
Célestine emmitouflée dans son châle, grelotte, ses doigts sont protégés du froid par des moufles. Elle est matinale Célestine pour aller aux Halles.
Ces Halles débordantes de vie où cela fourmille, grouille, s’agite, en tout sens, crie, beugle avec des sons tonitruants.
Des maigres, des gros, des grands, des petits, tous ces Forts courbent l’échine sous les cageots ou les quartiers de viande, un monde étrange règne sur le carreau, ici aux Halles. Microcosme des laborieux, lève-tôt, ne rechignant devant rien, ni l’ouvrage, ni le verre de muscadet.
Et Célestine, là, elle est à son affaire.
Elle repère de loin le « coquailler » qui sait si bien lui trouver de moelleuses volailles.
Elle l’apostrophe familièrement, tout comme une harengère,
- Hé ! Jules quoi de bon ce matin ?
- Oh ! la mère, j’ai quelques poulardes, venues tout droit de Bresse,
regarde ma belle si ca n’est pas joli :
Célestine les soupèse du regard, et de sa main, à travers ses mitaines, les caresse ; qu’elle douceur, cette chair nourrie au mais et aux grains de blé, bien roulée dans sa toile. Elle en choisit trois.
Plus loin le fromager, attitré, s’affaire avec le fil à beurre. Il entame une molette démesurée, maousse, à l’odeur douce et appétissante. Sur son étal les fromages les meilleurs : au lait cru, fermiers, affinés à cœur, de toutes les régions de France.
Elle en sélectionne de différents, Brebis de Pyrénées, Bleu d’Auvergne, Reblochon, Camembert, pour les autres elle hésite. Mais il lui faudra bientôt se décider, car elle a besoin aussi de légumes. Et le choix est immense, des éventaires à inspirer les peintres, des couleurs flamboyantes, respirant la fraicheur.
Des carottes encore ensablées, du persil odorant, des choux charnus et frisés, des échalotes fines feront son affaire pour aujourd’hui.
Célestine, dans ces Halles, flaire avec allégresse, un vrai bonheur. Elle hume, zieute, tâte, palpe , goûte , l’oreille aux aguets pour ne pas manquer quelques bonnes affaires proposées : tous ses sens sont sollicités, excités.
C’est céans, dans ces Halles, le moment préféré de sa journée, elle se sent encore libre, comme l’air.
Tout à l’heure, dans son Bouchon, il lui faudra s’affairer à la tâche, crier, ou tempérer, commander, maitriser le « coup de feu ». Et aussi surveiller les mijotages en cours, mitonner les sauces, assaisonner, mettre la main partout, alors, là elle régnera en maitresse.
Mais jamais comme ici, ce matin, dans ces Halles, en ce début du 20° siècle, à aucun moment de la journée à venir elle ne se sentira plus heureuse.
Et Célestine, cette batailleuse, besogneuse , ne sait pas qu’elle fait partie avec ses consœurs des précurseurs de la gastronomie, de notre si étonnante et savoureuse Cuisine De Terroir
JAK pour Mille et une semaine 43 22 10 2013