Participation Glaz
sujet insomnnie
Elle arrive en gare de Saint Florissant. Une sangle ficèle sa valise, ses sandales ont subit l’assaut du temps, déformées, éculées, elles l’isolent cependant de l’asphalte brulante.
Une jupe dont l’ourlet est défait, tombe mollement sur des mollets maigres et noueux. On croirait voir un casque sur sa tête, mais ce ne sont que ses cheveux collés et gras qui donnent cette impression.
Le chef de gare, la bedaine bien ronde, la regarde d’un œil curieux. Il en voit souvent des bizarres, mais celle ci dépasse tout ce qu’il a vu depuis qu’il est en poste ici.
Cela fait 28 ans qu’il commande les départs de la Micheline, en sifflant à pleins poumons sur son quai de gare, et 28 ans que sa femme Bernadette en décore les deux rives de géraniums rouges.
Son petit village reçois, au moment des récoltes, une ribambelle de gens venus de n’ importe où, étudiants ou travailleurs de la terre, chômeurs ou itinérants, sans autres jobs que celui d’aller où les légumes et fruits poussent, souvent démunis, couramment joviaux et rieurs, mais parfois fêtards, redoutés des autochtones.
Cependant, il n’est pas blasé. Toujours il est captivé par les nouveaux apparus dont il imagine les vies antérieures, leurs vies « d’ailleurs. »
Et, aujourd’hui, cette femme étonnante, arrivée, sur ce quai désert, pour sûr, elle n’a pas de billet aller-retour, elle est venue pour rester, il le sens, le discerne. Il n’analyse même pas pourquoi il raisonne ainsi. Il est intuitif, ses prédictions, accomplies, n’ont jamais démenties cette évidence.
Le téléphone du bureau le distrait de son observation, et il abandonne le quai.
La Micheline est déjà loin.
Suzanne, c’est le prénom de cette originale, Suzanne traverse la voie sans prendre le passage souterrain. Elle fait fi de tout.
Elle est attendue à la GAEC de Chanteclair.
Elle s’y rend sans demander son chemin, ses souvenirs venant à la rescousse.
Il y a vingt ans qu’elle a quitté ce bled.
Pourquoi y revient-elle ?
C’est une longue histoire.
La campanelle est toujours là, sur le toit de la vieille maison aux pierres brunes et chaudes.
Elle retentit à l’instant de son arrivée, invitant les travailleurs à la pause.
Le patron, jovial, l’accueille, comme nouveau renfort. C’est la pleine saison et on a besoin de mains supplémentaires. Celle-ci fera l’affaire, malgré son allure débraillée !
Puis, il lui présente ses co-équipiers, ensuite, avec ses bras embrassant d’un geste circulaire la campagne, lui fait faire, du regard, le tour du domaine, où ses vignes s’étendent à perte de vue.
…
Son histoire lui remonte à la tête, un flot d’images se précipitent, c’est bien là, il y a vingt ans, mais elle ne peut pour l’instant s’abandonner aux chimères.
…
Elle se mêle aux autres, courageusement, attaque de pieds fermes, malgré son apparence frêle, et ne néglige pas sa peine.
Elle rit même aux sornettes qui lui sont débitées.
Les paniers pleins, rapidement remplissent les remorques prêtent pour partir vers le pressoir.
Ses mains sont écorchées par le sécateur, et ses sandales usées ne l’ont pas préservée des cailloux de la vigne.
Bah elle n’en a cure !
Elle semble insensible.
C’est son histoire seulement qui l’intéresse : elle veut remonter le passé.
…
Au grenier, tout prêt de la charpente encore chaude des derniers rayons de soleil, une petite chambre lui a été octroyée.
Sans se laver, elle saute sur le lit aux ressorts crissant.
Et là, les bras en croix, abandonnée, soûle de fatigue, elle médite.
Son histoire peut enfin ressurgir
Il y a vingt ans, elle était l’université, en Sciences humaines, prépa philo, insouciante, jolie, bien entourée, copains copines lui faisaient fête.
Elle était venue ici à Chanteclair pour se faire quelque argent pour payer ses loisirs estudiantins.
Le patron, actuel, plus jeune, était déjà accueillant. Et entre parenthèse, ce jourd’hui, il ne l’avait pas reconnue, et pour cause !
Les copains de l’université étaient avec elle. Et ils formaient tous une bande de joyeux compères. L’un d’entre eux avait sa préférence, et ils envisageaient de faire ensemble un bout de chemin.
Avec eux des travailleurs saisonniers, jeunes et moins jeunes, ardus à la tâche, arpentaient la vigne en tous sens, ne négligeant pas une grappe, mais ils aimaient bien festoyer le soir à la veillée autour d’un bon verre et au son d’une guitare, et tous se retrouvaient devant un feu de camp.
L’un d’eux s’appelait Pedro, ce nom lui trotte encore et toujours dans la tête, devenu lancinant, tel un leitmotiv lessivant ses pensées.
Un soir d’orage, il la surprit à sa toilette et là, la violenta malgré ses cris et ses griffes, elle ne put se défendre !
La foudre faisait tant de raffut que personne n’entendit.
Puis, sans demander son reste, il parti.
Elle s’enfuit alors, pieds nus dans la campagne environnante, désemparée, désespérée, ne sachant bien quoi faire, où aller.
Ainsi elle parcourût jusqu’ à point d’heure, les sentiers ne sentant plus rien, ni douleur physique, ni souffrance morale.
Puis la honte la prit, elle se crut coupable, condamnable d’avoir rit et chahuté avec ce garçon là.
Le lendemain matin ce Pedro s’était envolé, nul ne l’a jamais revu.
Alors elle se murât dans le silence pour de longues années.
Elle resta naturelle, personne de s’aperçut de son angoisse.
Arriva la fin des vendanges, tous ensemble ils rentrèrent, elle riait avec eux, mais c’était pour donner le change.
Son ami préféré avec lequel elle avait envisagé de demeurer, se lassa vite de la morosité qui émanait d’elle en permanence. Ils se séparèrent et ne se revirent plus.
A la rentrée scolaire, elle n’était déjà plus la même, et ce qui hélas n’aurait jamais dû arriver, survint : elle fut enceinte ! A cette époque pas de moyens pour arrêter cela.
Elle accouchât d’une fille, non viable, sur son acte de naissance on peut lire :
« Enfant sans vie »……. elle n’a pas eu de prénom !
Et depuis ce temps là, ses nuits, sont de longues insomnies, où de méchants cauchemars prennent le relais en alternance.
Elle sombra dans l ‘alcool, pensant tout oublier, délaissa ses études, s’accommodant de mille riens, elle vécu en clocharde, changeant sans cesse de lieu, où seul le hasard l’amenait. Aucune étincelle dans ses yeux éteints.
Cela, jusqu’à ce jour heureux, c’était un lundi, une journée chaude de septembre, où elle reprit enfin de gout à la vie.
On ne sait trop pourquoi, une grappe de raisin, volée sur un étal de marché, fut sa résurrection, le déclic qui la fit réagir….
Ce jour là, pour conjurer le sort, vaincre ses persistantes insomnies, elle pensa que c’est à Chanteclair qu’il fallait revenir, s’y installer, y rester, pour enfin exterminer son histoire et renaitre à la vie.
Le paradoxe fit qu’elle avait visé juste, car c’est au milieu des vignes, où elle règne en maitre de chaix maintenant, qu’elle à choisi de finir ses jours.
Elle y a trouvé ce sentiment de plénitude, qui fait que tout le passé n’a plus aucune importance, et de surcroit elle y a rencontré un compagnon inespéré, simple et gai sensible et délicat.
Et depuis ce temps là finies les insomnies qui pourrissaient ses Nuits !